Que célébrons-nous, cet été, à l’occasion des Jeux de Paris 2024 ? Une ville ? Un pays ? Des athlètes ? Oui, certes, un peu de tout cela ; mais croire en la célébration de Paris, de la France ou des médaillés olympiques serait confondre les outils et l’œuvre. Car, avec l’olympisme, la véritable célébration est ailleurs.
Éclairage de Sylvain Bouchet, historien spécialiste de l’Antiquité, Lauréat du Prix Coubertin et rédacteur d’une Thèse sur les Jeux Olympiques.
Mais qu’est-ce qu’une célébration ? Célébrer c’est créer un moment rare. Célébrer c’est vivre une expérience partagée. Célébrer, c’est avoir la conscience d’un idéal.
Pierre de Coubertin (1863-1937), le rénovateur des Jeux Olympiques, a toujours vécu dans l’idée de célébration. Tout d’abord parce que le XIXe siècle, son époque, a la nécessité de se construire, de se définir et de s’affirmer. Le XIXe siècle produit des célébrations à tour de bras : les Expositions Universelles constituent l’expression de la célébration de l’Industrie, des forces mécaniques tout comme celles de la pédagogie et du spectacle. Mais pour quel idéal ?
Le prince Albert, époux de la reine Victoria, maître d’œuvre de la première Exposition Universelle de l’histoire, à Londres en 1851, met en avant le rapprochement des peuples par le libre échange… Si cet idéal peut aujourd’hui nous interloquer, le mouvement des grandes Expositions fut lancé et marqua profondément toutes les célébrations de la seconde moitié du XIXe siècle.
© Paris 2024
En assistant, en 1878, à l’Exposition Universelle de Paris, le jeune adolescent qu’est Pierre de Coubertin conçoit la silhouette de ce qui deviendra l’œuvre de sa vie, les Jeux Olympiques modernes, sans en connaître, sur le moment, la consistance précise. Pour mieux comprendre la distinction entre la silhouette et la consistance, il n’est pas faux de dire qu’avant même l’idée olympique, Pierre de Coubertin a cherché à créer une célébration, peu importe le contenu, à l’image de ce qu’était capable de produire une Exposition Universelle.
L’idée de célébration précède donc l’idée sportive.
Mais que voulait célébrer Coubertin ? La déclinaison est chez lui multiple : la célébration de la fête et de l’exaltation, la célébration du souvenir et de la mémoire, la célébration du collectif et de la fédération. La thématique sportive survient ensuite, mais très naturellement, et réussit l’exploit incroyable de souder parfaitement chacun des maillons rêvés par Pierre de Coubertin.
Les Jeux Olympiques modernes sont nés sur une envie de célébration
- Célébrer, c’est créer un moment rare, et les Jeux Olympiques, ressuscités d’un lointain passé, ne sont organisés que tous les quatre ans.
- Célébrer, c’est vivre une expérience partagée, et les compétitions réunissent l’ensemble des nations, associées aux spectateurs, aux lecteurs de la presse, aux auditeurs, puis aux téléspectateurs et internautes.
- Célébrer, c’est enfin la conscience d’un idéal… et ne pas ressentir cet idéal, ne pas réfléchir sur son concept, c’est, quelque part, ne pas célébrer les Jeux Olympiques.
Les Jeux Olympiques n’ont d’intérêt que s’ils mettent en scène un élément de toute noblesse, et qui dépasse la simple rencontre sportive.
Cet idéal est celui du pacifisme.
Ainsi, célébrer les Jeux Olympiques, c’est non moins reconnaître son attachement à l’exploit sportif que d’être ému par cette capacité (trop rare) des humains à se détourner de leur violence première.
La première marche du podium ne doit être occupée ni par la célébration d’un pays organisateur, ni par la gloire d’un champion, ni par le prestige d’un classement de médailles par nation, encore moins par l’argent pourtant omniprésent, mais bel et bien par cette idée simple et fragile : le dépassement de soi pour faire œuvre de pacifisme.
Quelque part, la noblesse des Jeux Olympiques, c’est célébrer un instant de civilisation. Tâchons, cet été, de nous en rappeler.
Sylvain Bouchet